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Gérald Mballe : « Nous communiquions peu verbalement mais nous nous comprenions à travers le football »

Thursday 21 April 2022

Gérald Mballe : « Nous communiquions peu verbalement mais nous nous comprenions à travers le football »
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A l’occasion de la Cérémonie de remise des trophées IRTS (Integration of Refugees Through Sport) organisée par l’ISCA (International Sport and Culture Association) le 17 novembre 2021, Sport et Citoyenneté a rencontré Gérald Mballe, lauréat du trophée dans la catégorie Role Model. A travers ce vote, le public européen a considéré que par ses actions, il pouvait être un modèle pour d’autres réfugiés. Voici son témoignage.

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par Lilia Douihech-Slim, Journaliste

Dans le nord du Cameroun où s’affrontent séparatistes, terroristes et forces gouvernementales, j’avais une vie familiale instable qui m’a menée sur les routes migratoires. Mais je n’ai plus envie de parler de ces traumatismes. Aujourd’hui j’ai 23 ans et je suis Conseiller pour le programme « Unis avec les Réfugiés » au sein de Special Olympics Europe Asie (SOEA). Cette organisation vient en aide, en les mettant en relation à travers le sport, aux personnes avec et sans déficiences mentales.

Octobre 2014 : J’ai la conviction qu’en me confiant à cet homme que je ne connaissais pas, sans me dire que je ne reviendrai pas à Kolofata, mon oncle a voulu me donner une chance. Alors j’ai suivi ce passeur, dans l’espoir de trouver un endroit plus sûr pour y vivre : Nigeria, Niger, Algérie, Maroc, de nouveau Algérie puis Lybie. Durant une année, je suis resté silencieux autant à cause des barrières linguistiques que par peur de représailles.

Novembre 2015 :  Dans le bateau des garde-côtes italiens qui nous ramenait sains et saufs vers Pozzallo en Sicile, nous étions une centaine. Nous avons été pris en charge par la Croix-Rouge et placés dans un centre d’accueil à Settimo Torinese, une ville industrialisée d’environ 48 000 habitants, située en périphérie de Turin. Les besoins de première nécessité nous étaient fournis et nous avons bénéficié d’une reconstruction psychologique.

Après quelques temps et plusieurs démarches qui me permettront d’obtenir l’asile en Italie, je me sentais prêt à découvrir cette nouvelle terre. Mais le centre d’accueil était loin de tout, nous ne comprenions pas la langue et la communauté locale n’avait pour ainsi dire jamais été confrontée à l’accueil de migrants. Bien que les lieux d’échanges – bibliothèques, cinémas, musées ou boulangeries – ne nous soient pas fermés, nous ne nous sentions pas les bienvenus. Il a fallu l’aide de Luigi Petrillo, mon éducateur, pour m’y accompagner et m’inciter à prendre des leçons d’italien.

Janvier 2016 : Lorsque le centre d’accueil m’a proposé de m’impliquer dans des activités bénévoles, j’y ai vu une occasion de me sentir utile. Les principes sur lesquels le mouvement de la Croix-Rouge est basé avaient du sens. Alors j’ai apporté à manger aux familles italiennes qui n’arrivaient pas à avoir un plat de pasta à la maison. J’ai réalisé que je n’étais pas le seul en difficulté, malgré le fait que j’étais noir. Je me suis dit : « tu dois te battre fiston parce que ce n’est pas le paradis ici ; regarde comme ils vivent. Tu dois te battre et même plus fort qu’eux parce qu’ils sont dans leur pays mais toi, tu n’es pas dans le tien ». J’entreprendrai par la suite une formation pour devenir médiateur linguistique auprès de la communauté africaine du centre.

Février 2016: A force de me voir pratiquer le football dans les parcs, Luigi m’a offert l’opportunité de jouer et d’entrainer une équipe de jeunes athlètes déficients mentaux de Special Olympics. Je m’attendais de leur part à une réaction identique à celles que j’avais connues depuis mon arrivée. Ce fût tout le contraire : ils m’ont serré dans leurs bras, sans même me connaitre. Nous communiquions peu verbalement mais nous nous comprenions à travers le football et les émotions qu’il procure. Je ne voyais plus leurs déficiences mais leurs compétences et leur détermination. Notre équipe était très soudée et nous avons eu la chance de représenter l’Italie lors des Special Olympics World Games d’Abu Dhabi, en mars 2019, qui ont regroupé 7500 athlètes de 200 pays.

D’où je viens, les personnes handicapées n’ont aucune perspective ; elles sont totalement exclues de la communauté. Voire qu’à l’autre bout du monde, ce sont ces mêmes personnes qui t’aident à regagner la confiance que tu as perdue tout le long de ton voyage était incroyable. Je pensais leur venir en aide mais en réalité, ce sont eux qui m’ont permis de m’intégrer socialement, en m’acceptant et en me laissant contribuer à leur bien-être. C’est sur cette idée d’enrichissement mutuel que David Evangelista, le Président de SOEA a créé en 2016 le programme « Unis avec les réfugiés », qui obtiendra, en décembre 2020, le partenariat du Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies.

Janvier 2021 : Alors que je suivais des études en sciences politiques et relations internationales, David m’a offert le premier poste de Conseiller du programme « Unis avec les réfugiés ». Il m’a surtout pris au sérieux. C’est un exemple que les organisations qui luttent contre l’exclusion devraient suivre. Ne pas simplement nous laisser participer aux projets, en tant que bénéficiaires mais nous en confier les rênes. Cela permet de faire évoluer les mentalités et les discours narratifs autour de l’inclusion.

Avril 2021: La femme qui partage ma vie, une italienne, m’a donné un fils. Il est vrai que ce petit a une histoire familiale déjà bien lourde à porter. Mais tout ce que j’accomplis, c’est pour qu’il me voit comme un battant et non comme une victime. Grâce à lui, mes racines sont aussi en Italie. Si je retourne un jour au Cameroun, j’essaierai de convaincre ces familles qui cachent encore leurs proches ayant des déficiences mentales, des bienfaits que peuvent avoir le sport et un encadrement adéquat sur leurs vies.

Je suis un voyageur de nature et je n’ai pas de destination finale. Lorsque je regarde en arrière, je suis fier du parcours accompli et reconnaissant vis-à-vis des personnes qui ont cru en moi. Jeune homme contraint au silence sur les routes migratoires, je parle aujourd’hui quatre langues et autant de dialectes africains et je voyage à travers le monde pour porter haut – grâce au sport – la voix des réfugiés et son message de tolérance.

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